Quelques mots d’introduction
Depuis toujours j’aime marcher. Enfant puis adolescent, je ne rechignais pas à faire des marches plus ou moins longues. Les années ont passé et c’est vrai que j’ai un peu moins marché. Arrivé à la retraite, je me suis à nouveau déplacé dans Paris la plupart du temps à pied. J’ai alors marché longuement dans Paris jusqu’à accomplir des balades de 2 heures voire davantage. Mais marcher dans Paris a des limites pour des raisons évidentes. Je devais donc sortir de tout cela et marcher ailleurs.
Il y a bientôt 2 ans, c’est donc tout naturellement que j’ai adhéré à une association jacquaire avec laquelle je pourrais découvrir la marche en pleine nature. Je l’ai alors rejointe pour effectuer l’an dernier le chemin de Compostelle de Paris à Vézelay (~ 250 km). Fort de cette première expérience, j’ai fait seul une marche cet automne de Paris vers le Mont-Saint-Michel, soit une distance d’environ 500 km en 3 semaines. Ce fut en quelque sorte une répétition grandeur nature sur ce qui m’attendrait sur le chemin de Compostelle, peut-être avec un dénivelé moindre, mais là n’est pas la vraie difficulté.
Tous les chemins identifiés sous l’appellation itinéraires de Grande Randonnée (GR) sont balisés et entretenus par la Fédération Française de la Randonnée Pédestre (FFRandonnée). La France compte plus de 180 000 km de sentiers balisés. La Fédération édite des topoguides très bien faits qui sont une source inépuisable d’informations (itinéraires des GR, hébergements, points d’intérêt, …). La plupart des itinéraires jacquaires français utilisent la même signalétique que celle des GR. Elle est également utilisée dans toute l’Europe, mais son visuel peut varier d’un pays à l’autre.
Mes quelques lectures
En plus de l’approche, disons technique, j’ai voulu en savoir plus au travers de quelques livres et documents divers. J’ai donc lu pas mal d’articles et, vous vous en doutez, il existe des dizaines de livres relatant le chemin de Compostelle, écrits par des historiens, des romanciers ou tout simplement par des pèlerins, ayant pour la plupart comme point commun d’avoir fait le chemin et d’être désireux de faire partager leur expérience. J’ai lu 2 livres sur le chemin de Compostelle.
Le 1er était celui de Jean-Christophe Rufin qui s’intitulait : « Immortelle randonnée : Compostelle malgré moi », paru en 2013. C’est une œuvre autobiographique. Jean-Christophe Rufin a suivi à pied, sur plus de huit cents kilomètres, le « Chemin du Nord » jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle. Beaucoup moins fréquenté que la voie habituelle des pèlerins, cet itinéraire longe les côtes basque et cantabrique puis traverse les montagnes sauvages des Asturies et de Galice. Galerie de portraits savoureux, exercice d’autodérision plein d’humour et d’émerveillement, Immortelle randonnée se classe parmi les grands récits de voyage littéraires.
Je ne sais pas si c’est la lecture de son aventure qui m’a donné envie de faire le Chemin de Compostelle, mais – le cas échéant – c’est elle qui m’a donné envie de faire le Chemin du Nord.
Le second de Henri Vincenot, intitulé « Les étoiles de Compostelle », a été publié quant à lui en 1987. A la différence du précédent, il s’agit là d’un roman historique qui se passe au XIIIème siècle, dans lequel l’auteur narre cette singulière aventure, à la fois mystique et quotidienne, des Compagnons constructeurs, ces bâtisseurs d’abbayes et de cathédrales, les mystérieux « Enfants de Maîtres Jacques », et des premiers pèlerinages vers Compostelle.
Compostelle et son symbole
Je ne vais pas vous faire un cours sur la vie de Saint-Jacques, d’une part j’en serais bien incapable et d’autre part ce serait un peu trop long. Il y des tas de livres et de documents qui la relatent remarquablement.
Par contre j’ai cherché à savoir quelle était l’origine du mot Compostelle ainsi que celle de son symbole, la coquille.
Compostelle, par étymologie populaire, est analysé comme le composé de « campo » et de « estrella », littéralement « champ de l’étoile », en latin « campus stellae ». Cette hypothèse viendrait d’une légende selon laquelle Saint Jacques indiqua par une étoile le lieu de sa sépulture. Le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle est un pèlerinage catholique dont le but est d’atteindre le tombeau attribué à l’apôtre Saint Jacques le Majeur, situé dans la crypte de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle en Galice.
Quant à l’emblème de la coquille, dans son ouvrage, Henri Vincenot a écrit : « Et enfin et toujours, cette patte d’oie, faite de trois traits disposés comme les trois doigts de l’oie, que l’on retrouvait brodée sur les capuches des Pédauques 1 et qui, à l’origine, désignait les lointains pèlerins de Compostelle. Par déformation successive elle est devenue la coquille Saint-Jacques. »
Une autre hypothèse est que la coquille correspond aux symboles utilisés dès la Préhistoire et l’Antiquité : coquille dans les tombes (symbole de renaissance, de résurrection), symbole de purification spirituelle (d’où la cuve de fonts baptismaux en forme de coquille), …
Une autre version est que depuis l’Antiquité, les coquillages étaient portés pour se protéger de la sorcellerie, du mauvais sort et des maladies. Pour ces raisons symboliques, la coquille s’est imposée comme attribut de l’apôtre Saint-Jacques, dont elle a pris le nom. Les pèlerins l’accrochaient à leur sac, leur chapeau, leur cape ou encore leur bourdon, mais seuls le bourdon et la panetière étant bénis par le prêtre au départ.
Et enfin, comme les coquillages étaient abondants dans la région de Galice, les pèlerins se sont attribués la coquille pour l’utiliser de 3 manières différentes : comme sébile pour quémander l’aumône, de récipient pour se désaltérer et d’écuelle pour manger. Il est bon de savoir que le Jacquet ne pouvait obtenir la fameuse coquille qu’au terme de son pèlerinage à Compostelle, qui symbolisait l’accomplissement du pèlerinage, la récompense suprême. Elle perdit, hélas, son caractère sacré au fil des siècles : la charité étant la règle absolue envers le pèlerin de Compostelle (soins, hébergement, nourriture), la tentation était grande pour les faux pèlerins, les « coquillards », d’en arborer également. De nombreux mendiants se faisaient ainsi nourrir et héberger gratuitement. Comme quoi, la filouterie ne date pas d’hier. Toute médaille a son revers !
Il y a donc de très nombreuses versions – peut-être autant qu’il y a de chemins ! – toutes plus ou moins véridiques et historiques. A priori, de nombreux textes attestent la véracité de l’origine du mot Compostelle. Néanmoins, je soumets ces questionnements à votre sagacité afin de nous faire partager votre connaissance. De toutes les façons, je pense que chemin faisant, je trouverai les réponses.
Année jacquaire : Une année est dite « jacquaire » lorsque le 25 juillet, la fête de Saint-Jacques tombe un dimanche. Cet événement rare se produit une douzaine de fois par siècle. La dernière fois, c’était en 2021. Et de façon inédite, en raison de la situation sanitaire exceptionnelle, le pape François a décidé qu’elle serait prolongée jusqu’à fin 2022. Ce n’est qu’à la fin du Moyen-âge, en 1428, que l’on trouve trace de la première année sainte compostellane historiquement attestée. Ce pèlerinage vers Compostelle a été entre le XIIè et le XIVè siècle le 3ème en importance après Rome et Jérusalem.
Crédential : la crédential est une espèce de laisser passer qui permet d’accéder aux gites réservés aux pèlerins. Elle est tamponnée à chaque étape pour tracer son itinéraire.
1 : Confrérie de Compagnons constructeurs qui portaient une figure géométrique ésotérique ressemblant à l’empreinte d’une patte d’oie. En occitan Pedauca, du latin pes,pedis (pied) et auca (oie) : « pied d’oie »
Les chemins de Compostelle
Comme vous le voyez sur cette carte, il existe en France une multitude de chemins qui mènent à la frontière. Et bien sûr, il y a ceux qui viennent de toute l’Europe – j’ai lu dans une revue qu’il y en avait une centaine -, que ce soit du Nord, de l’Est, du Sud et même d’Angleterre comme montré ci-dessous. En Espagne il y a également plusieurs voies qui viennent du sud et également du Portugal. Mais on va déjà s’intéresser à ceux qui traversent la France et nous mènent à la frontière.
Je dois vous avouer qu’à la vue de tous ces chemins, je n’ai pu m’empêcher de faire le rapprochement avec la carte d’un réseau hydrographique dans lequel il y avait comme une espèce de ruissellement de pèlerins qui confluaient tous dans les Pyrénées, ces dernières déversant, au gré des saisons, des flots – parfois ininterrompus – de pèlerins sur le Camino Frances.
En fait ce sont bien tous les chemins possibles qui rejoignent les 4 principales voies en France. Je serais tenté de dire que tous les chemins conduisent à Compostelle !
Le choix de mon chemin
Lorsque me vint l’idée – ou peut-être l’envie – de faire le chemin de Compostelle, j’ai commencé par regarder de quelle ville partir. Il y a en France 4 voies jacquaires principales : celle qui part de Paris, de la tour Saint-Jacques la bien nommée, celle de Vézelay, celle du Puy-en-Velay (de loin la plus fréquentée) et enfin celle de Arles. Je n’eus aucune hésitation : je partirai de Arles pour emprunter la voie Tolosane, dénommée ainsi parce qu’elle passe par Toulouse (Tolosa en langue d’Oc, dérivée du latin).
Finalement, 3 des 4 voies principales se rejoignent à Ostabat (Pyrénées Atlantiques), un peu avant Saint-Jean-Pied-de-Port et celle de Arles arrive à Oloron-Sainte-Marie.
De Arles à Compostelle
La voie d’Arles ou via Tolosana
Trait d’union entre les versants méditerranéen et atlantique, la voie d’Arles relie Arles à Puente-la-Reina en Espagne où elle rejoint le Camino Francès en un peu moins de 1000 kilomètres. Cette voie du sud traverse les villes de Montpellier, Castres, Toulouse, Auch, Oloron-Sainte-Marie, Jaca. Elle rencontre d’autres lieux forts de l’histoire et de la géographie comme l’abbatiale de Saint-Gilles-du-Gard, l’ancienne abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert, le seuil de Naurouze ou encore le col du Somport. Les régions parcourues, de la Provence aux Pyrénées, offrent une grande diversité de reliefs, de paysages et de climats : vignoble méditerranéen, forêts du Haut-Languedoc, collines gasconnes, piémont des Pyrénées.
Depuis Arles, on peut prendre 2 chemins : la voie de Arles qui suit le GR653 via Montpellier, Castres, Toulouse, … et la voie du Piémont qui passe plus au sud en longeant le littoral et en passant par Béziers, Carcassonne, Pamiers, Lourdes et arrive aussi à Oloron-Sainte-Marie.
La via Tolosana présente le tracé le plus au sud des quatre voies principales. Son point de rassemblement et de départ se situe à Arles, d’où son autre nom de via Arelatensis (chemin d’Arles). L’itinéraire passe aussi par Saint-Gilles, d’où le nom qu’on lui attribue parfois de via Aegidiana (route de Saint-Gilles).
Arles est la ville de départ du chemin vers Compostelle mais elle est aussi un lieu de rencontre de plusieurs chemins : si l’on part vers l’Est on va vers Rome au tombeau de Saint-Pierre et vers l’Ouest à Santiago de Compostella. Un autre chemin vient d’Italie par les Alpes et arrive à Arles. Quand on fait le chemin vers Compostelle le pèlerin devient un Jacquet et vers Rome, un Romieu ou un Roumieu, nom d’origine catalane.
La via Tolosana rejoint l’Espagne après avoir franchi les Pyrénées au col du Somport. J’ai choisi de suivre le GR653 par le parc naturel du Haut Languedoc en traversant les Cévennes. Le profil de cette voie est présenté ci-dessous. La distance est de 785 km jusqu’au Somport et de 175 km après jusqu’à Puente-la-Reina, soit au total 960 km.
Les chemins en Espagne
Depuis la frontière, il y a 2 chemins principaux pour rallier Saint Jacques de Compostelle :
Le Camino Frances
C’est de loin le plus fréquenté. Il doit son origine – peut-être à vérifier – à Chemin des Francs devenu au fil du temps Chemin des Français. On y accède par la Navarre (col de Roncevaux depuis Saint-Jean-Pied-de-Port) ou par l’Aragon (col du Somport depuis Oloron-Sainte-Marie). La jonction se fait alors avec le Camino Navarro, qui n’est autre que la continuité des trois autres chemins principaux partis de France. Il était également appelé « Ruta Interior », par opposition à la « Ruta de la Costa ». Les 2 itinéraires se rejoignent à Puente-la-Reina, juste après Pampelune. Le chemin passe ensuite par Burgos, León, …
Cet itinéraire est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il fait partie également des Itinéraires culturels européens (ICE), label créé par le Conseil de l’Europe pour promouvoir une culture européenne commune. La coquille Saint-Jacques est naturellement devenue le symbole général du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle avec le logo européen représentant l’emblème de la coquille en jaune sur fond bleu. Il peut suivant le chemin prendre différentes formes, avec ou sans les étoiles, comme sur certaines cartes ci-dessus.
Le Camino del Norte
C’est l’autre voie très fréquentée, itinéraire du nord par les villes de la côte atlantique San Sébastian, Bilbao, Santander, Oviedo, …. Pour prendre ce chemin du Nord, il faut aller à Irun car l’accès du côté espagnol n’est pas aisé pour rejoindre San Sebastian depuis le col de Roncevaux ou le col du Somport. Je crois qu’il n’y a pas de chemin direct type GR balisé et donc peu de chance de trouver des hébergements (à vérifier également).
Le profil de ce chemin côtier est présenté ci-dessous. Il est plus difficile que le Camino Frances car il est plus accidenté et présente de nombreux dénivelés, mais plus beau avec l’Océan en fond d’écran, et par voie de conséquence il draine moins de monde. La distance est de 816 km depuis Irun jusqu’à Saint Jacques de Compostelle. Au total, depuis Arles, cela fait entre 1700 et 1800 km.
Et en conclusion
Pourquoi le chemin de Compostelle ? On ne peut ou ne sait pas toujours tout expliquer ! je vais laisser Jean-Christophe Rufin répondre pour moi. Ce dernier disait : « Chaque fois que l’on m’a posé la question : “Pourquoi êtes-vous allé à Santiago ?”, j’ai été bien en peine de répondre. Comment expliquer à ceux qui ne l’ont pas vécu que le Chemin a pour effet sinon pour vertu de faire oublier les raisons qui ont amené à s’y engager ? On est parti, voilà tout. »
Je vais suivre la voie d’Arles jusqu’à Oloron-Sainte-Marie. Je ne franchirai pas les Pyrénées par le col du Somport pour rallier Puente-la-Reina. D’autre part – et depuis le début de ma réflexion – j’ai toujours eu envie de passer par le col de Roncevaux. Je vous en dirai plus le moment venu. Donc, depuis Oloron-Sainte-Marie, j’envisage de me rendre à Saint-Jean-Pied-de-Port puis irai par le col du même nom à Roncevaux qui se trouve en Espagne pour ensuite revenir à Saint-Jean-Pied-de-Port. Puis je terminerai mon périple en allant à Hendaye ou Irun soit à pied soit en car ou autre moyen. Et c’est là que se terminera mon aventure pour cette année, si tout se passe comme prévu !
J’ai noté ces quelques lignes de Henri Vincenot qui écrivait ceci et que je trouve tout à fait de circonstance :
« … Depuis longtemps ils ont pris la marche d’automate qu’ont tous les Jacques, au bout de cinq ou six cents de nos kilomètres. Les pieds se lèvent tout seuls et se reposent l’un devant l’autre sans que la tête le sache. Les bras ballotent, les mains gonflées, les lèvres croûtées1, on avance, parce que si on s’arrête on a mal partout. Le mieux est encore d’avancer, et en vérité cela ne va pas sans une certaine jouissance.
Tout le long de la route maintenant il y a des petites chapelles, à six ou sept lieues2 de distance pour servir d’étape, construites par des gens qui savent ce que c’est que marcher, toujours près de la rivière ou d’un point d’eau … »
A propos du chemin de Compostelle, et probablement de bien d’autres, quelqu’un a dit ou écrit, en substance : « Tout le monde prend le même chemin, mais chacun fait le sien ».
1 : je ne sais pas si cela se produit de nos jours, car il est vrai que les pèlerins dont parle l’auteur sont partis en hiver et ont traversé l’Aubrac ! Aujourd’hui la plupart des pèlerins part entre le printemps et l’automne.
2 : la lieue est une unité de longueur, de définition très variable suivant l’époque et la région, et peut mesurer soit 4 km soit ~ 4,5 km, donc on a une distance approximative comprise entre 24 et 30 km.
Merci pour ce cours d’histoire. On ressent un voyage bien préparé et une grande motivation. Je suis impatient de lire le prochain message. Bravo
J’imagine que tu dois bcp méditer durant ces longues marches. La tête c’est bien mais en l’occurrence, les pieds, c’est mieux. Prends en soin. Reste sur le bon chemin qui te ramènera vraisemblablement vers nous. Pour ce qui me concerne, je t’attends et t’ouvrirai grands les bras de la DR7.
Buen viaje y hasta pronto.
Jean-Marie Carli
Patrice, merci pour ce témoignage qui est contagieux…tu donnes envie !
Ce récit promet de bien beaux moments. Pour moi qui rêve de faire ce périple, je prends ton récit comme une invitation. En attendant, je vais me procurer les livres de Ruffin et de Vincenot. Je suis impatient de lire la suite de ton reportage…
Bravo Patrice.
Tu va vivre une expérience exceptionnelle…Merci de me faire partager ton aventure..
C’est un plaisir de te suivre…
Bonne marche….
A très vite de te lire….
Je t’embrasse
SYLVIE
Merci Patrice pour cette intro. Je te souhaite une très belle découverte et un beau voyage.