Quelques généralités sur ces 6 étapes

Là je pars du Somport, le toit de la voie d’Arles, pour descendre dans la vallée en traversant d’Est en Ouest l’Aragon et la Navarre pour partie. Je vais découvrir en même temps que vous toute cette partie de l’Espagne Pyrénéenne que je ne connais pas du tout au travers de ces 2 régions en vous parlant de Canfranc Estacion, de Jaca, de Arrès, de Ruesta, … et bien sûr de Puente la Reina, mon étape terminale.

Comme vous le voyez sur la carte topographique, je vais descendre sur environ 170km dans la vallée jusqu’à Puente la Reina qui se situe à une altitude d’environ 400m avec de temps à autres quelques petites collines à franchir de 700 ou 800m.

Ci-dessous une carte du chemin qui figure pratiquement dans chaque village que l’on traverse. Les 6 étapes sont clairement identifiées avec tous les villages traversés et leur kilométrage. Il y a beaucoup d’auberges et de refuges, des villes historiques et des villages abandonnés à cause de l’émigration. Il n’est pas très fréquenté, sauf en été quand la chaleur est vraiment forte dans la partie espagnole, plus au sud.

Etape 32 :  Somport (A) – Jaca (B)

Après une belle après-midi passée au col du Somport, je vais donc tourner le dos à la France pour passer une petite semaine en Espagne. De la même façon que j’ai clôturé la voie Tolosane par un coucher de soleil, voici le lever de soleil sur le Camino Aragones. Il arrose l’Aragon et la route qui m’attend de pied ferme comme une espèce d’invitation au voyage. Espérons qu’il m’éclairera moi aussi ! Je plonge donc dans la vallée pour entamer le 2ème acte de mon périple.

Le petit déjeuner dans l’albergue – auberge – n’est servi qu’à partir de 7h30 environ. Pas trop le temps de rêvasser car nous avons 32km à faire jusqu’à Jaca qui sera notre première étape. Comme je vous le disais le col est sur la commune de Candanchu, station de sport d’hiver. Nous partons par la route – direction plein sud toute la journée – un peu avant 8h en passant par cette petite station qui à cette époque de l’année est fermée, ou presque, pour encore quelques jours avant les vacances estivales.

Au départ du col, on passe sur un petit ruisseau : l’Aragon – qui a donné son nom à cette région frontalière des Pyrénées – prend sa source dans un cirque glaciaire de la vallée d’Astun non loin d’ici, à 2 050 m d’altitude. Il parcourt l’Aragon et la Navarre sur environ 200km et nous le suivrons jusqu’à Sangüesa avant de bifurquer vers le sud pour devenir un affluent de la rive gauche de l’Ebre qui se jette en méditerannée au sud de Tarragone (Catalogne).

La vallée abrite plusieurs exemples d’architecture militaire parmi lesquels Le Fort du Coll de Ladrones (le Col des voleurs) et la Torre de Fusilleros (Tour des Fusiliers). Le Fort du Coll de Ladrones s’inscrit dans la volonté de la monarchie espagnole de contrôler la frontière nord du royaume. Remanié au XIXème siècle, il est le pendant du fort du Portalet (cf mon précédent article). Sa construction commence au XVIIIème siècle lorsque la monarchie espagnole prend conscience de la menace française dans les Pyrénées aragonaises (Pyrénées-Atlantiques) : la route française arrivait alors, en 1749, à la Peña de Aret. Les places fortifiées de Candanchu, de Canfranc, de la tour de la Espelunca qui défendaient la vallée de Canfranc avaient été abandonnées. La Tour des Fusiliers, construite sur ordre de Felipe II, défendait le passage frontalier. Cet édifice fut construit au XIXe siècle afin d’assurer la défense militaire et de prévenir d’éventuelles incursions provenant du Nord. La Tour des Fusiliers a été restaurée récemment et aujourd’hui abrite le Centre d’Information permanent des chantiers du Tunnel du Somport, avec une exposition didactique sur ce que fut cet important chantier d’ingénierie civile.

On arrive à Canfranc Estacion un peu après 9h. Je me retrouve devant une merveille architecturale : il s’agit de la gare de Canfranc.

La gare internationale de Canfranc : un patrimoine d’exception

Cette gare mérite tous les superlatifs : monumentale, gigantesque, grandiose, démesurée …. ! Je vais donc vous raconter son histoire qui a conduit à sa construction et hélas à son déclin quelques décennies plus tard. Je risque d’être un peu bavard, car là on touche à une de mes passions : les trains et les gares !

A la fin du XIXe siècle, les gouvernements français et espagnol se sont concertés pour créer une voie ferrée reliant Pau à Saragosse. Elle serait le pendant – au milieu des Pyrénées – des liaisons ferrées existant à l’Est côté méditeranéen de Cerbère-Port-Bou mise en service vers 1880 et à l’Ouest côté atlantique de Hendaye-Irun mise en service quant à elle vers les années 1890.

Canfranc, petite localité située juste après le passage de la frontière en Aragon à 1200m d’altitude, se situait à peu près à mi-chemin du tracé de cette nouvelle voie ferrée et fut donc retenue pour édifier une gare. A un moment cette gare internationnale a été envisagée du côté français au lieu dit Les Forges d’Abel, qui ne sera en définitive que la dernière gare côté français avant le tunnel. Canfranc doit être la 1ère gare espagnole de la ligne et la porte d’entrée de tout un pays d’une part et montrer ainsi l’ouverture que l’Espagne va accorder à l’Europe. Pour ce faire, on va atteindre presque au gigantisme en voulant par là même en faire une vitrine technologique et une oeuvre de prestige en quelque sorte !

Les travaux de la gare

La gare nécessitait une superficie de 18ha pour les bâtiments, les 2 quais, les 18 voies et tout son environnement (halls d’entretien, rotonde, …). Trouver une telle esplanade de 18ha en montagne était presque une mission impossible. L’endroit a été trouvé mais il a fallu l’adapter. On se trouve à la convergence de beaucoup de ravins et certaines pentes provoquent éboulements et glissements de terrain : les versants de la montagne étaient nus car il n’y avait aucun arbre. Il a fallu domestiquer les torrents et les ravins : pour cela 8 millions arbres ont été plantés (450ha de résineux) afin de stabiliser le sol et de se protéger des éboulis et des glissements de terrain. Il faut aussi dévier le fleuve Aragon qui passe sur la parcelle (souvenez-vous, un des 12 travaux d’Hercule fut de dévier le cours d’un fleuve pour nettoyer les écuries d’Augias ! ). Une fois ces travaux préliminaires réalisés, la construction proprement dite peut commencer. A l’origine le bâtiment devait être en pierre et en brique, comme cela se faisait classiquement à l’époque, mais si on opte pour le béton armé c’est aussi pour des raisons politiques. La grande nouveauté du chantier c’est qu’on utilise des matériaux innovants : on venait d’inventer le béton armé, si habituel aujourd’hui, et grâce à ces matériaux, la gare est achevée en des temps records, en 5 ans à peine. Je vous donne ses dimensions : elle fait 241 m de long sur 12,5 m de large, comporte 365 fenêtres – une pour chaque jour de l’année – et 156 portes. En fait elle a une emprise au sol de presque 10 000 m² ! Elle serait – à ce jour encore je crois – la plus grande gare d’Espagne et la 2ème d’Europe. Construite au début du siècle dernier, c’est un bijou architectural que l’on surnomme le « Titanic des montagnes » ou le « Titanic des Pyrénées », monument digne des plus grandes gares parisiennes. On la compare d’ailleurs volontiers à la gare Saint-Lazare, du moins de part ses dimensions.

… et ceux du tunnel hélicoïdal

On va aller voir du côté français comment avancent les travaux. Le plus gros challenge réside dans la liaison avec la gare car la voie ferrée doit franchir les Pyrénées et un tronçon pose particulièrement problème coté français où le versant a une très forte déclivité : pour rejoindre 1200 m d’altitude, la ligne doit gravir un dénivelé de 800m et le plus simple serait bien sûr de construire des rampes mais cela pose plusieurs problèmes : du coté français il y a peu d’espace et en si peu de km, cela aurait nécessité des pourcentages trop forts – pour rappel les % moyens sur le réseau ferré français n’excèdent pas 3 à 4 % du fait du contact roue/rail (métal/métal) qui n’offre pas une adhérence suffisante et de la puissance des motrices. La solution retenue a donc été de construire un tunnel hélicoïdal qui, comme son nom l’indique, est tracé en forme d’hélice. Le train va décrire une boucle de 1,8km environ et à la sortie du tunnel le train a gagné 68 m d’altitude. Ce type de tunnel est une solution avant gardiste pour l’époque, une solution innovante pour gagner de l’altitude. Au terme de 8 ans de travaux, le tunnel de Sayerce – 1er tunnel hélicoïdal des Pyrénées – est terminé en 1917.

… puis ceux du tunnel ferroviaire du Somport

Un peu plus loin les ouvriers se sont attaqués à l’ouvrage majeur : le tunnel ferroviaire du Somport, construit entre 1908 et 1915. Il a une longueur de 7 874 m (dont 3 160 m en France) et se situe à une altitude de plus de 1 100 mètres. En 1908 les 2 pays commencent à forer de chaque coté de la montagne. Un chantier hors norme se met en place et un village est même créé pour accueillir les ouvriers qui sont en permanence 200 à 300 et qui se relèvent toutes les 8h. Ce chantier a vu la mise en place du modèle des 3×8. Les équipes se rejoignent en 1912, 4 ans après le début des travaux. Ce qui est le plus surprenant c’est que les 2 galeries se rencontrent au bon endroit, sans GPS bien sûr à l’époque ! Vous vous imaginez bien que les conditions de travail étaient dantesques : éboulements, bruit, poussière, chaleur – pas ou peu de ventilation, inhalation de gaz nocifs dus à l’explosif, présence de grande quantité d’eau, … 12 ouvriers vont trouver la mort.

Tunnel du Somport côté espagnol à Canfranc

En juillet 2019, à la demande du gouvernement d’Aragon et du ministère des transports espagnols, l’ADIF, responsable du réseau ferré espagnol, a fait enlever au-dessus de l’entrée du tunnel coté espagnol, une partie du bas relief qui représentait un bouclier orné de l’aigle de Saint Jean, symbole de l’Espagne franquiste, ne laissant plus que les deux lions comme on le voit sur la photo. Un écusson héraldique aux armes du roi Alphonse XIII, qui inaugura la gare de Canfranc, devrait remplacer le bouclier enlevé.

Enfin l’inauguration mais …

En 1928, la gare internationale de Canfranc est achevée et le 18 juillet – ou le 19 suivant les sources ! – , treize ans après l’achèvement du tunnel, la ligne Pau-Canfranc est inaugurée par le roi d’Espagne Alphonse XIII et le président français Gaston Doumergue, et le premier train passe par le tunnel.

Malheureusement elle s’ouvre juste au moment de la crise économique mondiale de 1929 et va subir de plein fouet cette dépression. En 1931, un incendie ravage en partie le bâtiment. En 1936, c’est la guerre civile espagnole : le tunnel est muré. En 1942, les nazis occupent les lieux pour empêcher les résistants de fuir vers l’Espagne. Bien plus tard, il a été découvert qu’entre le 16 juin 1942 et le 27 décembre 1943, quelque 86 tonnes d’or ont transité à Canfranc. L’or nazi volé aux banques européennes et aux juifs a coulé en Espagne et au Portugal. Le dictateur Franco, qui redoute le retour de maquis républicains réfugiés en France, ferme la gare de 1945 à 1949. Le trafic ferroviaire reprend jusqu’en 1970 et il est principalement utilisé par des trains de pélerinage vers Lourdes.

En définitive, cette ligne ne va pas réussir à créer un véritable courant d’échanges (tarifs trop élevés par rapport aux lignes concurrentes) et d’autre part surtout au fait d’une différence d’écartement des rails entre la France et l’Espagne.

L’accident et la fermeture …

Le 27 mars 1970, le pont de l’Estanguet qui franchit le gave d’Aspe au sud de Bedous est détruit lors d’un accident ferroviaire d’un train de marchandises, ce qui entraîne la fermeture de la section Bedous-Canfranc de la ligne Pau-Canfranc après seulement 40 ans d’existence et en fait très peu d’années d’exploitation dues aux différentes interruptions. Le tunnel ferroviaire fait l’objet d’une inscription à l’inventaire des monuments historiques depuis le 28 décembre 1984.

Une histoire d’écartement des voies …

La France a inauguré sa première ligne de chemin de fer de Paris Saint-Lazare à Saint-Germain-en-Laye en 1837, en s’inspirant largement de l’expérience britannique. En effet le Royaume Uni a construit et mis en service la première ligne au monde en 1825. La France – tout comme la Belgique et l’Allemagne à peu près à la même époque – a alors adopté le même écartement des voies : 4 pieds et 8 pouces ½ soit 1,435m et ira même jusqu’à faire rouler ses trains à gauche (contrairement au métro parisien – et certainement à plein d’autres – qui roulent à droite), particularité tout à fait française. Cet écartement est devenu ce qu’il est convenu d’appeler « écartement standard » ou « voie normale » car 60% des lignes dans le monde l’utilisent (au delà c’est une voie large et en deçà une voie étroite). Pratiquement toute l’Europe, hors certains pays de l’Est, roule avec un écartement standard sauf l’Espagne et le Portugal !

En Espagne, l’écartement des rails est de 1,668 m (5 pieds 5 pouces et 21/32). Cet écartement dit « ibérique » est aussi utilisé au Portugal, en Argentine, au Chili et en Inde (l’écartement à l’origine était de 1,672m et celui du Portugal de 1,664m et les 2 pays ont décidé de passer à un écartement de 1,668m afin de faciliter les échanges). Il y a plusieurs raisons qui ont conduit à ce choix : du fait du relief accidenté il est plus aisé d’avoir un écartement plus large (meilleure stabilité et possibilité d’avoir des locomotives plus puissantes) mais a contrario l’emprise au sol et les rayons de courbure sont plus importants. J’ai lu également qu’il y avait une raison politique, mais sujette à caution : lors de l’équipement du continent en chemins de fer, au milieu du XIXe siècle, le souvenir de l’invasion napoléonienne était encore tellement vivace que les Espagnols ne voulaient pas courir le risque de voir « débarquer » une armée étrangère montée sur des rails.

En fait la ligne Pau-Saragosse se compose de 2 tronçons bien distincts : Pau-Canfranc et Canfranc-Saragosse. Il y a d’un côté les voies françaises et de l’autre les voies espagnoles qui sont donc bien distinctes de part et d’autre des quais. Un handicap majeur qui isole complètement l’Espagne et le Portugal pour les échanges ferroviaires. Tout cela parce que l’écartement des voies est différent entre la France et l’Espagne et qu’il y a donc ce qui est convenu d’appeler une rupture de charge, c’est à dire que les passagers et les marchandises qui transitent par cette ligne doivent changer de train à Canfranc ! pas très pratique, vous l’avouerez ! L’exploitation de la ligne est cependant une déception malgré sa modernité (électrification complète et transbordement de marchandises automatisé). D’après ce que j’ai pu lire, il faut en effet une longue journée pour effectuer les 310 km séparant Pau de Saragosse. Je vous fais grâce de la différence de tension d’alimentation électrique (1500V courant continu (CC) en France et 3000V CC en Espagne) qui n’est vraiment plus un obstacle technique, car depuis déjà de nombreuses années pratiquement toutes les motrices conçues pour l’international sont bi, tri voire quadri-courant (Eurostar, Thalys, …) et même déjà chez nous la plupart de notre matériel roulant est bi-courant. Voilà, maintenant vous êtes tout à fait au courant !

… et ses conséquences

Encore aujourd’hui ce problème d’écartement est bien présent. Ainsi, un voyage en train de San Sebastian à Bayonne, deux villes distantes de 60 kilomètres, dure entre 2 et 3 heures, selon les correspondances. C’est là que bute l’Europe de la libre-circulation des personnes. Plus très étonnant maintenant de voir des milliers de camions franchir chaque jour les Pyrénées ! Aujourd’hui seules les lignes de l’AVE (Alta Velocidad Espagnola) – le TGV ibérique – ont une voie à écartement standard ce qui permet des liaisons directes avec la France, comme celle qui va être inaugurée entre Barcelone et Lyon qui durera environ 5h.

Mais cette problématique peut avoir des conséquences stratégiques. Comme vous le savez tous, Hitler lance l’opération Barbarossa en juin 1941 contre la Russie et mobilise près de 4 millions de soldats. Pour ravitailler ces 3 armées, pour vous donner un ordre de grandeur, le besoin était en gros d’acheminer jusqu’au front 600 à 700 trains quotidiennement et j’ai lu que, à un moment donné, il n’a été acheminé vers le front qu’environ 530 trains en 1 semaine ! La logistique pour les ravitailler n’a pas suivi pour plein de raisons – dont je vous fais grâce – mais en très grande partie parce que à la frontière russo-polonaise, on passait d’un écartement voie normale (1,435m) à un écartement de 1,520m ( ~ 5 pieds) dit d’ailleurs « à la russe » et cette rupture de charge entrainait bien évidemment une totale désorganisation et des retards importants dans l’acheminement. Le IIIe Reich a bien essayé de pallier cet inconvénient en faisant construire des milliers de kilomètres de voie à l’écartement standard à la hâte par des milliers de prisonniers, mais cela n’a pas suffi a priori ! et on connait la suite ….

… et 50 ans après le Titanic refait surface …

La gare de Canfranc n’a jamais cessé de fonctionner coté espagnol mais elle accueille trop peu des voyageurs pour sa taille monumentale. La gare n’accueille en 2020 que vingt voyageurs par jour, sur un petit autorail qui effectue seulement deux allers-retours quotidiens. À l’inverse de la France, l’Espagne continue en effet de respecter la convention de 1928, qui interdit à chacun des pays d’interrompre son trafic sans l’aval de l’autre. Elle a été récemment transformée en hôtel de luxe et casino car son incroyable histoire attire de plus en plus de touristes et de pèlerins. Deux voitures restaurants ont été complètement restaurées – c’est le cas de le dire – pour accueillir les gens qui souhaitent déjeuner et sont stationnées devant l’hôtel.

L’ancien hangar de dépôt français va devenir un centre d’accueil pour les pèlerins et faire en sorte que Canfranc devienne la porte d’entrée du chemin et que les pèlerins puissent y trouver des informations ou s’y reposent.

De nombreux opposants au tunnel routier du Somport – ouvert en 2003 – militent pour la réouverture de la ligne de chemin de fer afin de diminuer le nombre de camions et d’accidents les impliquant dans la vallée d’Aspe. La réouverture de la ligne côté français est donc en cours. Les travaux du premier tronçon (section Oloron – Bedous) ont débuté le 26 septembre 2014 et la ligne a été rouverte à la circulation le 26 juin 2016, avec semble-t-il 4 dessertes par jour. Il reste donc à réhabiliter le second tronçon de 32 km (Bedous – gare de Canfranc) pour que la gare internationale reprenne son activité. Des projets sont en phase de réflexion, les deux régions frontalières ayant manifesté en 2016 leur volonté de rouvrir la ligne. Des expertises relativement récentes ont permis de vérifier l’état des voies et du ballast dans le tunnel hélicoïdal de Sayerce et a priori tout a bien résisté au temps. De ce que j’ai pu lire, le montant des travaux pour la réouverture du tunnel et celle de la ligne en général se monterait à 500 M€. Aucune date n’est cependant avancée !

Jaca et son patrimoine

Bon, je me suis un peu égaré, je me remets sur la bonne voie, bien sûr celle aragonaise, en vous parlant de Jaca, que j’ai atteinte en début d’après-midi après une longue descente le long de l’Aragon en passant de 1650m à 950m. J’ai pu profiter de cet après-midi agréable pour la visiter un peu. Il y a énormément de monde dans les rues car il y a une Feria (la fête patronale de Santa Orosia ? ). Jaca est une ville d’une moyenne importance qui compte environ 13 000 âmes. Comme dans beaucoup d’endroits, Jaca a un joli patrimoine : une ancienne citadelle en forme de pentagone, appelée château de Saint-Pierre jusqu’au XIXe siècle. Elle a été édifiée sur l’ordre de Philippe II à la fin du XVIe siècle. Elle est située en plein centre ville et dispose tout autour d’un immense parc où les habitants peuvent venir se promener ou encore tout simplement s’allonger.

La cathédrale San Pedro de Jaca est une des cathédrales les plus caractéristiques et les plus anciennes de l’architecture romane en Espagne, étroitement liée aux chemins de Saint-Jacques. Sa construction fut entreprise quasi simultanément à celle de Saint-Jacques de Compostelle, c’est-à-dire dans le dernier quart du XIe siècle. Dans la façade frontale de la cathédrale, on trouve l’atrium et le portail, dont l’arc majeur de rayon semi-circulaire, correspond au vaisseau central de l’édifice. La façade sud comprend un autre portique avec arc plein-cintre et un tympan modifié à la Renaissance. Quant aux absides, on ne conserve de l’époque romane que celle du sud, étant donné que les absides centre et nord ont été reconstruites à la fin du XVIIIe siècle. La cathédrale fait l’objet d’un classement en Espagne au titre de Bien d’Intérêt Culturel.

et des retrouvailles et d’autres rencontres

En route nous nous arrêtons vers midi à Castiello de Jaca, à environ 7km de Jaca. Andrés accompagné de son épouse qu’il avait retrouvé à Jaca, était allé à Urdos pour lui montrer le chemin qu’il avait parcouru et en montant au col nous avait aperçus (c’est vrai qu’un pèlerin qui tire une petite cariole est repérable surtout qu’elle est recouverte d’une toile rouge). Et on s’est donc retrouvé avec sa femme au café. C’était très sympa de s’être arrêté, de nous présenter son épouse et de passer un moment avec nous avant de partir vers Madrid. Nous échangeons toujours d’ailleurs via WhatsApp.

Le gîte pèlerins est assez sympa, mais l’hospitalière enregistre les données de chacun d’une façon très administrative (présentation de la Carte d’identité et de la Credential) et nous débite mécaniquement sa logorrhée de conseils en tout genre ! Ici, et contrairement à ce qui se pratique chez nous, il n’y a pas de réservation possible dans les albergues de pèlerins : elles ouvrent en principe vers 15h et c’est premier arrivé premier servi. C’est pour cela qu’il faut partir très tôt le matin d’une part pour éviter les fortes chaleurs mais surtout pour être sûr d’avoir une place dans le gîte à l’étape, sinon il faut aller un peu plus loin. Je voudrais aussi faire une remarque un peu de fond : ici en Espagne le Chemin de Compostelle est une véritable institution. Non seulement il est classé au patrimoine mondial de l’humanité mais en plus il revêt un caractère particulier : chaque habitant sait que son village ou sa ville se trouve sur le chemin et lorsque vous en croisez un il vous dit « Buen Camino » ou vous indique le chemin, les camions sur la route klaxonnent ce qui a la même signification, …. il y a quelque part une fierté non dissimulée. A tout cela s’ajoute l’organisation qui est au top : balisage visible, parfois redondant, mais sans ambigüité : plus besoin pratiquement de GPS ni même de carte ! les albergues de pèlerins sont identifiées par un panneau indicateur avec un logo particulier dès que l’on entre en ville mais de toutes les façons si vous suivez le balisage, il vous y mène.

Je rencontre José parti de Chantilly je crois vers la fin avril et qui est passé un peu par différents chemins – je ne me rappelle plus lesquels – peut-être par des chemins noirs puis par Lourdes et a franchi les Pyrénées vers Gavarnie avant de rejoindre Jaca. Et surprise, je retrouve Stephan que j’avais croisé à Auch avant de repartir le lendemain matin. Lui, suite à sa foulure, était resté 2 jours et en avait profité pour se reposer et … se teindre les cheveux. C’est un peu pour ça que j’ai eu un peu de mal à le reconnaitre. Stephan est suisse et a quitté Berne début mai si j’ai bonne mémoire, a traversé la Suisse pour rejoindre Le Puy-en-Velay et a fait en partie la voie Podiensis avant de rallier Auch et la voie Tolosana. Il y a un père et son fils de 13 ans qui sont avec nous et qui viennent du Somport ou peut-être de Canfranc.

Etape 33 :  Jaca (B) – Arrès (C)

Situé à environ 25km de Jaca, Arrés est un joli petit village tranquille qui conserve son architecture traditionnelle et bénéficie d’une vue privilégiée sur les Pyrénées. On traverse quelques jolis petits endroits avec de très belles maisons – en pierre de la région – sur la place des villages ou dans des ruelles.

Arrès et son patrimoine

Au détour du chemin, l’arrivée sur Arrès petit village d’environ 350 âmes, perché au sommet d’une colline, sur la rive gauche de l’Aragon.

Le village d’Arrès à l’arrivée de la voie aragonaise

Ci-dessous vous pouvez voir une petite ruelle de Arrès à flanc de colline, un paysage aragonais vu du sommet de la tour au travers des volets ouverts. Magnifique photo car j’ai l’impression d’avoir sous les yeux – avec tous ces tons pastels – un tableau peint par je ne sais quel aquarelliste ! et l’intérieur de la petite église que nous avons visitée avec Raymondo comme guide.

La  tour d’Arrès, déclarée Bien d’Intérêt Culturel, est un vestige d’un château-forteresse de style gothique datant de la seconde moitié du XVe siècle, qui, avec la tour d’Atarés, aurait défendu la rive gauche du fleuve Aragon. La tour est bâtie sur trois étages en pierres de taille et comporte des meurtrières sur ses plus de dix mètres de hauteur. L’ensemble d’Arrés englobe la tour et l’église paroissiale de Santa Águeda, qui sont reliées, selon le seul tableau conservé de l’ancienne muraille qui entourait le hameau. Construite aux XVIIe et XVIIIe siècles, elle est dédiée à l’Immaculée Conception et elle appartenait dans le passé au Monastère de San Juan de la Peña. Le reste de l’ensemble urbain est typique d’une conception défensive et arbore de monumentales – mais moins nombreuses qu’auparavant – cheminées aragonaises.

De nombreux pèlerins traversent la ville chaque année en suivant le tronçon aragonais du Chemin de Saint-Jacques. Cette route a vécu sa splendeur au Moyen Âge, cinq siècles de pèlerinage qui ont laissé de merveilleuses histoires et légendes, ainsi qu’un héritage artistique et culturel extraordinairement riche.

Et pour terminer, de nouvelles rencontres

A notre arrivée vers 13h, nous sommes super bien accueillis par Raymondo, hospitalier ici depuis quelque temps déjà, qui nous enregistre et nous installe rapidement. Le soir vers 19h il nous invite tous à le suivre – je crois que nous étions environ 10 pèlerins ce soir là – pour visiter la tour et la petite église. On a droit à une visite guidée car il connait parfaitement bien l’histoire de ces 2 monuments. Seul petit problème, la langue ! Le soir nous prenons tous les 11 le repas en commun préparé par Raymondo. On retrouve le père et son fils qui arrivent de Jaca tout comme nous. Cet adolescent – qui parle d’ailleurs assez bien le français – vient de perdre sa mère et son père a décidé de l’emmener avec lui sur une partie du chemin pour partager, échanger avec lui, se rapprocher de lui et essayer de créer ou de recréer du lien et de construire une nouvelle vie avec son fils … Des histoires comme celle-ci sont légion ! On se retrouve avec Stephan et José et on rencontre David. David est britannique et originaire de Leicester, mais j’aurai l’occasion de vous le présenter un peu plus loin.

Etape 34 :  Arrès (C) – Ruesta (D)

Depuis Arrés le chemin continue vers Mianos et Artieda, et ensuite vers la monumentale Ruesta, qui se situe à un peu moins de 30km, dernière étape du Chemin de Saint-Jacques en Aragon. Départ matinal avec ce magnifique lever de soleil qui se hisse très tôt au dessus de la chaine des Pyrénées et montre le bout de ses rais pour éclabousser de lumière la plaine aragonaise.

Lever de soleil sur les Pyrénées depuis le village de Arrès

Nous allons passer une grande partie de la journée sur un plateau situé à environ 500m et sans difficulté majeure, car il n’y a pratiquement aucun dénivelé. La principale difficulté étant la chaleur que nous commençons à percevoir en fin de matinée. Nous longeons toujours – de près ou de loin – l’Aragon sur sa rive gauche, qui se trouve un peu plus dans la plaine en contrebas. Arrivée vers midi avec déjà une grosse chaleur.

En arrivant à Ruesta, au débouché d’une forêt, j’aperçois une espèce de charmille. Non, en fait je suis en train de pénétrer dans l’oeil d’un cyclone avec tout autour comme un véritable tourbillon de verdure ! Cela peut donner le tournis, très probablement le vert-tige ! J’ai quand même un peu l’impression de me trouver dans une espèce de corridor végétal à la sortie duquel mes repères spatio-temporels vont peut-être se modifier.

Tunnel végétal à l’entrée de Ruesta

Et effectivement, en arrivant à Ruesta, on a remonté le temps. On est 60 ans en arrière, en 1962, année où le village a dû être abandonné en raison de l’inondation de ses terres agricoles liée à la construction de l’Embalse de Yesa (barrage de Yesa) appelé aussi « el mar del Pirineo ». Ce lac artificiel est alimenté par l’Aragon à l’Est. Du château de Ruesta il ne reste plus que les vestiges de l’ancienne forteresse musulmane, abandonnée par les Arabes au Xe siècle. Il s’agit d’une fortification composée de deux tours reliées par une haute enceinte, plus une autre tour déjà très délabrée, le tout protégé par une enceinte fortifiée dont il ne reste debout qu’un des côtés.

Tours de l’ancienne forteresse de Ruesta avec le lac de retenue de Yesa en arrière plan

Un peu avant l’entrée du village, nous trouvons l’ermitage de San Juan de Ruesta, du XIe siècle, déjà mentionné comme une auberge pour les pèlerins aux temps médiévaux.

Ermitage San Juan de Ruesta (après sa restauration)

L’auberge actuelle, qui héberge les pèlerins et les voyageurs, se compose de deux anciennes maisons restaurées : la Casa Valentín et la Casa Alfonso. On peut encore voir la belle petite église Santa Maria avec son clocher qui est elle aussi complètement abandonnée.

Eglise Santa Maria (Ruesta)

La belle histoire de Ruesta …

Ruesta est un village en ruine, un village mort dans lequel on a l’impression de croiser les âmes des anciens villageois. C’est un profond sentiment de tristesse qui émane de ces ruines. Le seul bâtiment encore « vivant » est l’albergue dans laquelle nous passerons la nuit. Pourtant de nombreuses associations sont (ou seraient) prêtes à détacher des bénévoles pour commencer la restauration de Ruesta, comme je vais essayer de vous l’expliquer.

David a été bénévole – et l’est d’ailleurs encore, enfin je pense. Il a pas mal bourlingué – comme il me l’a expliqué dans la langue de Molière qu’il parle à la perfection – puisqu’il a été plusieurs fois en Israël – pendant des périodes parfois assez longues – dans des Kibboutz. Il a également – entre autres – été bénévole à plusieurs reprises en Espagne et, à cette occasion, a rencontré Fernando, un ami hospitalier bénévole comme lui, qui connait des gens à Ruesta qui travaillent pour le syndicat de la Confederación General del Trabajo (CGT) et qui lui ont demandé s’il pouvait venir pour quelques travaux. C’est donc comme cela que David est venu en 2022 passer 3 à 4 jours pour aider au nettoyage de certains terrains et pour mettre en place des protections, alors que je pensais que c’était pour des travaux de restauration. Et cela explique pourquoi David connaissait l’équipe qui gère maintenant l’albergue.

On connait tous – nous français – l’histoire de la construction du barrage de Tignes au début des années 50 et de celui de Serre-Ponçon 10 ans plus tard, qui ont conduit à l’évacuation – pour ne pas dire à l’expulsion – des villageois de la vallée et à l’engloutissement de leur village, une fois celui-ci reconstruit sur les hauteurs. Ici, c’est un peu différent car le village existe toujours. Il est certes en ruine, mais n’a pas été submergé par les eaux. Il y a une espèce de bras de fer entre l’écologie et l’économie, comme souvent de nos jours dans de nombreux pays. C’est toujours un peu le pot de fer contre le pot de terre ! Si j’ai bien compris ce que David m’a expliqué, les promoteurs voudraient augmenter la capacité de stockage du barrage – en augmentant la hauteur d’eau du lac de retenue – pour produire plus d’électricité dans le seul but d’accroître la rentabilité de l’édifice et donc leurs revenus. Les défenseurs sont eux soucieux de la préservation de l’environnement mais également de la sauvegarde du chemin de Saint-Jacques de Compostelle qui passe sur les berges du lac et qui serait irrémédiablement englouti. On est toujours dans la sempiternelle lutte entre David et Goliath. L’objectif du Syndicat est de réhabiliter le village et a en quelque sorte pris les choses en main en faisant pression sur le gouvernement. Comme il fallait s’y attendre, l’entreprise qui gère le barrage s’oppose à la reconstruction du village abandonné. Sur un des murs du village, on peut voir cette gigantesque fresque dont le discours a le mérite d’être clair ! Pour votre information, Lucio Urtubia, est un militant anarchiste espagnol, une espèce de mentor pour ce groupe – un tantinet anarchiste également – qui gère l’albergue. On a dit de lui « Lucio est un Don Quichotte qui ne s’est pas battu contre des moulins à vent, mais contre de vrais géants ». Aujourd’hui, Ruesta renaît grâce au travail enthousiaste des membres de la Confederación General del Trabajo (CGT) d’Aragón, à qui il a été transféré en 1988. Le village est classé au patrimoine de l’UNESCO.

et un bel exemple de solidarité …

Nous étions donc 5 pèlerins ce soir là. Nous avons bien sûr prévu de dîner ensemble. José n’envisageait pas de dîner avec nous pour des raisons budgétaires. Un consensus s’est vite établi entre nous 4, Thomas, Stephan, David et moi : nous inviterons José. Comme l’a dit si justement David « Pilgrim spirit ». A ce sujet, je me permets de donner un petit conseil : si vous n’êtes pas prêt à faire ce geste de solidarité pour accueillir un pèlerin autour de la table comme vous le feriez chez vous pour un membre de votre famille ou un ami, alors c’est que vous n’êtes pas encore tout à fait prêt à faire le chemin ! Le groupe de 5 se retrouvera tous les soirs jusqu’à Puente la Reina et Thomas a créé un groupe WhatsApp « Via Aragones 2023 », le pendant du précédent groupe « Via Tolosana 2023 », groupes que je vous présenterai dans ma conclusion.

Etape 35 :  Ruesta (D) – Sangüesa (E)

Cette étape – l’antépénultième de mon chemin – est une des plus courtes car elle ne fait que 22 km. Sangüesa – Zangoza en basque – est une ville de moyenne importance d’environ 5 000 habitants, située sur la rive gauche de l’Aragon qui à partir de là va s’écouler vers le sud. On a quitté l’Aragon pour entrer en Navarre. Cela se remarque pour plusieurs raisons :

  • On y parle le castillan ainsi que le basque. La Navarre possède deux langues officielles : l’une le castillan est la langue commune à toute l’Espagne et doit être connue par tous les citoyens, l’autre, le basque, n’est officielle que dans la Communauté autonome basque et en Navarre : soixante-quatre des cent soixante-douze communes de la Navarre constituent la zone bascophone, où le castillan et le basque ont un statut de coofficialité.
  • Le balisage sur le chemin est bien moins précis et parfois même un peu absent comparativement à celui de l’Aragon. Mais globalement il est quand même largement au niveau de celui du GR653 en France et on peut toujours rejoindre l’étape suivante sans carte.

Un très riche patrimoine …

On dit de Sangüesa que l’on trouve un monument dans chaque rue, grâce au chemin de Compostelle. La Calle Mayor est la rue principale qui mène au pont sur l’Aragon et comporte de nombreux monuments du patrimoine. On peut donc y voir un des trésors de cette ville, l’église de Santa Maria la Real fondée en 1122 par Alphonse I roi de Navarre et d’Aragon qui a fait de Sangüesa une étape cruciale du chemin de Compostelle. Comme vous le savez, le tympan d’une église quelle qu’elle soit sert à envoyer un message au visiteur et au pèlerin, au travers des ornements ou des statues qui sont sculptées en bas-relief. Ce portail de style roman est séparé clairement en 2 : le statuaire à gauche représente le Bien et à droite le Mal, le Ciel et l’Enfer ! La cathédrale fait l’objet d’un classement en Espagne au titre de Bien d’Intérêt Culturel. En remontant la rue on passe devant le palais de Añues du XVe siècle puis devant celui de los Iñiguez-Abarca du XVIIe siècle.

Un peu plus loin on arrive au palais Ongay-Vallesantoro – maintenant maison de la Culture – qui date de l’époque baroque – en gros du début du XVIIe siècle jusqu’au milieu du XVIIIe siècle – qui s’organise autour d’un magnifique escalier avec des balustrades et des colonnes surmonté d’un avant-toit en bois. En continuant ma promenade, je peux découvrir la magnifique petite église de Santiago construite dans un style roman tardif, elle a été achevée en pleine période gothique aux XIIe et XIIIe siècles. C’est une église fortifiée dont sa tour crénelée terminée au XIVe siècle en est le plus bel exemple qui est située près de la muraille des anciennes fortifications de la ville.

Et pour terminer mon petit tour, j’ai pu voir – sans pouvoir le visiter – le couvent de Saint François d’Assise (San Francisco de Asis) fondé en 1266 en l’honneur du saint qui, lors de son pèlerinage de 1212, créa la première communauté franciscaine dans l’ancienne Sangüesa (Rocaforte) ainsi que l’église San Salvador édifice gothique du XIVe siècle (photo de droite)

Il y a encore plein de belles choses à voir. Cette petite ville vaut le détour et mérite qu’on y passe 1 à 2 heures pour la visiter.

et toujours de belles rencontres …

Rencontre avec Pedro, forgeron. Il est la 6ème génération depuis 1829 à tenir cet atelier de forge. Il m’a montré ce qu’il faisait dont cette clé pour une ancienne porte qu’il a forgée et façonnée en 2h seulement ! Bravo l’artiste ! Je ne suis pas sûr que l’on trouve encore chez nous, en pleine ville même de moyenne importance, ce genre d’artisanat !

Et le soir repas tous les 5 dans l’albergue où nous étions seuls : charcuterie arrosée de bière et pizzas avec quand même des fruits. Ce n’est pas trop mal pour une fois, car j’ai connu pire !

Etape 36 :  Sangüesa (E) – Monreal (F)

L’avant dernière étape va me mener à Monreal. Elle fait environ 28km mais comme avec Thomas on a voulu prendre un raccourci … on a fait 5km de plus, c’est logique, non ! En fait on a pris le mauvais chemin à la sortie de Sangüesa. Mais c’était superbe. On a longé une ancienne ligne de chemin de fer à voie unique désaffectée – non je ne vous parlerai pas encore de trains ni de gares – qui longe les gorges d’un torrent et qui passe entre les montagnes et la traverse donc à plusieurs reprises avec des tunnels. Bon, j’ai résisté 2 lignes, tout ça pour vous dire que cette ligne inaugurée en 1911 reliait Pampelune à Sangüesa et a été opérationnelle jusqu’à la fin de l’année 1955. Ce fut le 1er train électrique de la péninsule ibérique. Je suis vraiment incorrigible, mais je suis comme beaucoup d’entre nous, quand on a une passion, quelle qu’elle soit, on a envie de le faire savoir et de la partager sans modération … !

Après, le chemin est un peu long et ennuyeux et passe souvent sur des anciennes routes dans de grandes plaines. On traverse des villages où il n’y a rien. On trouve de plus en plus d’inscriptions en basque plus on va vers l’ouest donc vers le pays basque, ….

La route est encore longue vers Monreal-Elo dans la plaine Navarraise !

Entre Pampelune et Sangüesa, la petite ville navarraise de Monreal fut un village médiéval en plein essor, principalement en raison des pèlerins qui la traversaient. Elle est dominée par la présence impressionnante de La Higa, la montagne emblématique qui continue d’être un symbole de ce lieu. Monreal fut une résidence de chasse des rois de Navarre et au Moyen Âge, elle eut quelque temps le droit de battre sa propre monnaie. Elle compte à l’heure actuelle environ 500 habitants et on y entre par ce remarquable pont médieval de construction gothique. Comme dans de nombreux endroits traversés, Monreal a une assez belle église médiévale, celle de la Nativité de Notre-Dame, qui surplombe la petite cité.

Etape 37 :  Monreal (F) – Puente la Reina-Gares (G)

Dernière étape aujourd’hui d’environ 30km. A la sortie de Monreal-Elo, le plan détaillé de l’étape du jour montre le chemin qui contourne la montagne de La Higa par le nord avec tous les points d’intérêt (châteaux, villages, …) et le profil de l’étape.

Me voici arrivé en milieu d’après-midi au terme de la première partie de mon chemin vers Compostelle.

La voie d’Arles est terminée : j’aurai donc parcouru environ 1000km (sans compter les détours et les balades pour visiter les villes traversées). Terminus tout le monde descend ! Et pourtant il n’y a pas de train à Puente la Reina. Il n’y a pas de gare non plus, il n’y en n’a jamais eu et il n’y en aura jamais ! C’est une petite ville d’à peine 3000 habitants située à environ 24 km au sud-ouest de Pampelune, la capitale de la Navarre. Je me suis pendant pas mal de temps posé la question pourquoi Gares alors qu’en espagnol cela se dit « estaciones » ! En fait Gares – le s se prononce – est tout simplement le nom Basque de Puente la Reina qui lui est son nom en Castillan. Cette partie de la Navarre est sous influence basque et tous les noms de villages, de villes, de rues, … sont écrits en espagnol et en basque. Récemment, dans la deuxième moitié du XXe siècle, la ville retrouva son toponyme basque de Gares.

Par-dessus tout, Puente la Reina est une étape clé sur la route du Chemin de Saint Jacques, comportant des restes de remparts et diverses constructions religieuses. Elle doit sa fondation au pont que la reine Doña Mayor ordonna de construire sur la rivière Arga. Elle est à la confluence de 2 chemins qui arrivent de France : le Camino Aragones qui prolonge la via Tolosana en venant du col du Somport et en traversant l’Aragon et une partie de la Navarre depuis Sangüesa et la via Navarones ou Camino Navarro qui vient du col de Roncevaux et passe par Pampelune. Les pèlerins qui ont pris le Camino Navarones arrivent d’Obanos et ceux qui ont pris le Camino Aragones arrivent d’Eunate. L’église romane de Santa Maria de Eunate a été construite au XIIe siècle et se distingue par son cloître extérieur à 33 arcs aux chapiteaux ornés et par son beau portail. C’est une construction assez atypique et il n’y a pratiquement pas d’églises similaires. On retrouve un clocher-mur. En fait nous – David et moi – sommes passés par Obanos après Eunate où on trouve cette magnifique arche.

Un très riche patrimoine …

Ces 2 voies convergent à Puente la Reina pour ne former plus qu’un seul chemin vers Saint Jacques : le Camino de los Francos ou Camino Francés. Elle est le point de départ du Camino Francés et donc le point kilométrique 0 (PK0). Cette ville a conservé tout le charme d’un village né par et pour le Chemin de Compostelle, comme en témoigne le tracé de ses rues. Elle s’est développée des deux côtés du chemin-rue, selon deux grands axes parallèles reliés par des ruelles dites belenas.

La porte d’entrée et l’église du Crucifix

Comme au Moyen Âge, l’entrée dans la ville se fait entre deux tours, vestiges d’une des portes qui s’ouvraient dans les murailles, dont il ne reste pratiquement rien. Puis on passe sous la voûte reliant l’ancien hôpital, qui accueillait les pèlerins, à la « Iglesia del Crucifijo » (l’église du Crucifix). Les Templiers furent invités à s’établir dans la ville dès 1142 et reçurent du roi Garcia V Ramirez de Navarre le droit de vendre du pain et du vin. Ils firent construire, à l’entrée de la ville, l’église de Santa Maria de las Huertas, appelée aujourd’hui, l’église du Crucifix car elle abrite un magnifique Christ du XIVe siècle. L’intérieur de l’église est à l’image du dépouillement voulu par les « moines-soldats » : le silence est propice au recueillement face à la statue romane de Santa Maria de las Huestas. La simple nef romane d’origine du XIIe siècle, a été doublée au XIVe siècle, d’une autre nef – cette fois gothique – à trois travées sous laquelle se trouve le Christ de bois. L’église du Crucifix, d’allure carrée, coiffée d’un fort clocheton ajouré en plein cintre, garde la marque des Templiers qui la bâtirent et y tinrent un hôpital, auquel a aujourd’hui succédé un collège. Le portail ogival est décoré de coquilles et de plantes. Elle fut consacrée par les chevaliers du Temple, qui installèrent aussi l’auberge.

La rua Mayor

La grande rue garde une atmosphère médiévale avec ses maisons à portes gothiques et à chapiteaux et toutes ses églises. Elle traverse toute la ville jusqu’au fameux pont des pèlerins.

L’église de Santiago El Mayor (Saint-Jacques le Majeur)

Elle se trouve à mi-rue de la rúa Mayor, mentionnée dès 1142, de plan en croix latine et voûtes en croisée d’ogives étoilées. Restaurée au XVIe siècle, elle garde de ses origines un magnifique portail roman à cinq voussures qui fut exécuté à la fin du XIIe siècle. Elle offre l’exemple de l’un des rares emprunts effectués par les portails navarrais à l’art musulman, influence dite mauresque ou mozarabe. Sur les voussures historiées du portail de l’église de Santiago, le décor disposé dans le sens de la courbure des arcs, s’ordonne de part et d’autre de sujets placés à la clef. Le nombre des sujets approche quatre-vingt-dix. À l’intérieur de l’église Saint-Jacques, le retable baroque raconte la vie de saint Jacques. Face à l’entrée, trône la splendide statue gothique de Saint Jacques pèlerin, pieds nus, bourdon en main, coquilles sur le chapeau, le visage émacié et extatique. Cette statue taillée dans le cèdre fut sauvée de justesse du bois de chauffage auquel elle était promise !

L’église San Pedro Apostol

Avant d’atteindre le pont, une ruelle sur la gauche conduit à l’église Saint-Pierre Apôtre du XIVe siècle et le couvent des Comendadoras de Sancti Spiritus.

… et le fameux pont roman

Le pont roman de Puente la Reina – le Pont de la Reine – construit au XIe siècle

Le pont roman de Puente la Reina constitue l’un des plus intéressants exemples d’architecture civile du Chemin de Compostelle en Navarre et est l’un des emblèmes du chemin de Saint-Jacques.

Point de rencontre des pèlerins, des milliers d’histoires et de légendes s’y sont tissées au fil des siècles. Les eaux de l’Arga qui coulent sous les imposantes arches de ce pont centenaire racontent les récits les plus surprenants aux voyageurs retenus par leur murmure. Si vous tendez l’oreille, vous entendrez sûrement la légende du « txori ». Le pont roman a donné son nom à la localité de Puente La Reina qui se traduit – vous l’aviez deviné – par le Pont de la Reine.

Au XIe siècle, une reine de Navarre – Doña Mayor de Castille, épouse de Sanchez le Grand – décida de faire construire un grand pont sur la rivière Arga pour faciliter le passage des pèlerins de Compostelle qui quittaient la ville par la Rúa Mayor. La ville se développa autour de ce pont connu comme Puente la Reina ou Puente de l’Arga. Le flux continuel de pèlerins apporta richesses et croissance à la ville. Sobre et élégant, il s’agit d’un des exemplaires d’art roman civil les plus seigneuriaux du chemin. Il possède 7 arcs en plein cintre – le plus oriental étant enfoui – et fait 110 mètres de long. Entre les arches, quelques petites ouvertures ont été percées pour alléger la structure et permettre le passage de l’eau en cas de crue – les architectes de l’époque avaient déjà pensé à faire des évacuateurs de crue que l’on retrouve aujourd’hui sur les barrages ! Il était jadis doté de 3 tours défensives, une centrale et deux à ses extrémités. La tour centrale abritait une Vierge du Puy ou du Txori de style Renaissance. Il a conservé son aspect d’origine, à l’exception de la porte fortifiée, construite postérieurement, où les pèlerins devaient acquitter un péage, et celle de la chapelle Notre-Dame, aujourd’hui disparue. D’après la légende, la statue recevait régulièrement la visite d’un oiseau – « txori » en basque – qui en ôtait les toiles d’araignée et lavait son visage avec l’eau de l’Arga. Le jour où l’oiseau était aperçu, les cloches sonnaient à toute volée et des cérémonies religieuses étaient organisées. En 1843, elle fut transportée à l’église San Pedro.